Depuis que le père d’Hippolyte est parti, tout dans la vie de la jeune fille est déséquilibré. Sa mère s’enferme de longues heures à la cave et refuse de manger en sa présence. Elle lui prépare pourtant d’énormes pièces de viande qu’Hippolyte se force à avaler. Dans la rue où elles habitent, en bordure de forêt, leur voisine a disparu sans laisser de traces…
Et puis, un soir, la mère d’Hippolyte se jette sur elle et la mord. Que s’est-il passé ?
_LibrairieIndépendantes
J’avais repéré ce livre sur le site des éditions Sarbacane depuis sa sortie et j’ai été ravie de le trouver à la bibliothèque. J’ai été attirée par sa couverture minimaliste et par son résumé intriguant. Il ne m’en fallait pas plus pour le glisser dans mon tote bag avec mes autres trouvailles.
Ogresse est une vraie pépite. Sous ses airs sobres, il nous offre un véritable voyage entre conte et récit d’apprentissage. Notre narratrice est Hippolyte, Hippie pour sa mère et H pour ses amis. C’est une lycéenne rien de plus banale, elle a le cœur qui bat vite, super vite même, et elle l’entend raisonner dans tout son corps. C’est ainsi que débute son récit, et ce paragraphe sur son cœur qui bat a conquis le miens. Moi qui ai le cœur qui bat si vite, ce battement qui résonne dans mes oreilles quand j’essaye de m’endormir. Je me suis reconnue en ses mots qui m’ont semblé si familier. H et son cœur qui bat sont devenus des amis avec qui j’ai aimé passer du temps.
Dans son univers, les choses tournaient dans tous les sens : ses parents venaient de se séparer, sans vraiment le lui dire. Son meilleur ami Kouz était un gros lourd à montrer des nudes de sa copine à leur pote Benji. Et sa mère a cessé de manger et s’est mise à agir étrangement. Des changements plutôt inquiétants, sans parler de la disparition soudaine de madame Muñoz, une de ses voisines préférées, une vielle dame adorable chez qui H aimait passer du temps. Un vrai méli-mélo d’événements, et pourtant ils avaient tous quelque chose en commun : elle.
L’histoire de H, c’est deux histoire en une. C’est tout d’abord celle d’une jeune femme de 16 ans qui grandit et qui découvre les premières fois. Ainsi, elle se rend compte qu’elle aime Kouz, une révélation qui les mènera à engager une relation entre amour et amitié, avant qu’ils partagent ensemble leurs premières fois. Un moment du livre que j’ai beaucoup apprécié pour sa véracité, l’auteur ne nous raconte pas une première fois idéalisée et idyllique, mais bien le premier rapport sexuel entre deux personnes inexpérimentés. “Le sexe ? Ce n’est pas comme on se l’imagine. Ou en tout cas, ce n’est pas comme je l’imaginais. Je pensais que ça serait plus facile, déjà, d’un point de vue technique…”
C’est également le début de nouvelles amitiés, H connait Kouz depuis la primaire mais à part lui, elle n’a jamais eu de vrais amis. C’est pourquoi sa relation avec Lola et Benji est aussi important que celle qu’elle entretient avec Kouz. Les premières amitiés sont parfois aussi importantes que les premiers amours ; après tout, elles peuvent nous suivre toute notre vie. C’est ainsi que Lola et H se rapproche et se confit leurs secrets, se rendant vite compte de leurs similitudes. On comprend vite que H adore Lola, elle l’exprime à de nombreuses reprises “Mon cœur grossissait tellement quand je la regardais, que ça me faisait mal aux côtes.”
Grâce à son amitié avec Benji, Lola et Kouz, H a enfin l’impression de faire partie d’un tout, d’une famille. Grâce à eux, elle reprend confiance en elle et se sent aimée et entourée. Sentiment qu’elle avait perdu depuis le divorce de ses parents. “C’était parce qu’on était tous ensemble qu’on était chez nous, toujours mobiles, toujours ensemble et partout chez nous.“
La seconde histoire est plus profonde, ressemblant à un conte. Je me suis demandée plusieurs fois si l’histoire de H aller devenir une histoire fantastique. Mais non, tout est resté très terre à terre, car au final ce n’est pas vraiment le propos qui importe mais ce qui en ressort, et l’implication que cela va avoir sur notre narratrice et sa vie. H a 16 ans, elle vie sa vie et créé ses première fois, mais sa mère elle, vit une vraie désillusion : son mari l’a quitté et elle souffre. Elle se comporte aussi très étrangement, jusqu’au moment où elle mord sa fille. Je pense qu’à ce moment précis, H comprend, elle a toute les clés pour comprendre mais elle essaye de ne pas y penser. Sa mère a tué leur voisine et elle se nourrit d’elle, sa mère est cannibale. Pourquoi ? Comment ? Toute l’explication reste un peu floue, car ce n’est pas très important. Ce qui est important c’est que H va tout faire pour protéger sa mère, elle va s’en occuper, la nourrir et garder son secret même si elle sait que c’est mal et dangereux. Voilà la seconde histoire d’Ogresse, c’est celle d’une mère qui perd pied et c’est Hippolyte qui se charge de la maintenir en vie et qui s’occupe d’elle. C’est l’inversion de pouvoir, les parents sont censés s’occuper des enfants ; jusqu’au moment où les enfants deviennent aussi des adultes, alors la frontière s’estompe, et H devient une figure maternelle pour sa mère. La boucle est bouclée.
Ce roman c’est l’histoire d’une enfant qui devient adulte avec le positif : les amours et les amitiés, puis le négatif : les responsabilités, les sacrifices et le changement. J’ai beaucoup aimé ce livre, je l’ai lu en deux jours et j’ai adoré son récit et son écriture. J’ai d’ailleurs retenu beaucoup de citations, car les mots de l’autrice m’ont beaucoup touché. Je vous recommande de lire Ogresse, vous en serez à coup sur rassasier.
Citations
- Le cœur est notre muscle le plus puissant, et le mien bat fort. _H
- La beauté d’une femme, Hippocita, c’est son orgueil. _Madame Muñoz
- – Je peux pas être ton renfort, Benji. Il me faut aussi un renfort. Il faut un renfort à ton renfort, puis un renfort au renfort de ton renfort. ça ne s’arrête jamais.
– Sois pas ridicule. C’est moi ton renfort et tu es mon renfort. C’est une boucle. c’est contenu. - Trop de franchise, ça éblouit. _H
- Toutes les armures ont des cicatrices. C’est ce qui font qu’elles nous appartiennent. _H
- La distance qui nous séparait : trois ou quatre pas, et l’infini. J’ai repensé aux hyperboles et à leurs asymptotes. J’étais 1/x et maman l’axe Y. Je pouvais m’approcher d’elle autant que je voulais, tendre vers elle de toute ma volonté, je ne la toucherai jamais, jamais, jamais. _H
- J’aurais voulu dire à Lola que cette cicatrice était un bijou, une parure, un baiser, qu’elle aurait dû toujours se relever les cheveux comme ça pour qu’on la voit. Mon cœur grossissait tellement quand je la regardais, que ça me faisait mal aux côtes. _H
- La drogue sert en fait à régler les problèmes qu’elle crée ! _Benji
- C’était parce-qu’on était tous ensemble qu’on était chez nous, toujours mobiles, toujours ensemble et partout chez nous. _H
- Le cœur est notre muscle le plus puissant, mais Kouz est plus fort que le mien : il sait le faire taire. _H
- On n’a pas rompu. Comment voulez-vous que je le quitte ? Il sait dire l’impossible. _H
Informations
Ogresse d’Aylin Manço chez Sarbacane (05/02/2020) – 16,00€ – 278 pages – Belgique