La Présidente de la République l’a décidé : tout élève doit faire, entre sa troisième et sa seconde, une année de service civique quelque part en France. Valentin Lemonnier n’a pas de chance : ses vœux ne sont pas respectés, et il est envoyé dans le Pas-de-Calais, dans un centre pour personnes âgées atteintes d’Alzheimer, minutieusement reconstitué pour ressembler à un village des années 60. Sa première mission semble assez simple : écrire une lettre à une pensionnaire qui a répondu à un concours dans un Salut les Copains de 1967, pour lui annoncer que, malheureusement, Françoise Hardy ne va pas pouvoir venir chanter dans leur ville. Sauf que c’est difficile d’annoncer une telle mauvaise nouvelle. Alors il annonce l’inverse. Françoise Hardy viendra ! il s’y engage personnellement. Et pour ce faire, il va falloir trouver un sosie de la star, qui vienne chanter son tube La maison où j’ai grandi à tous les pensionnaires.
_Librairies indépendantes.
Il y a des auteurs·rices qui nous transportent peu importe la thématique, et c’est clairement le cas de Clémentine Beauvais. Avec Âge tendre, elle nous plonge dans les années 60 et 70, et nous parle de ce qu’on a de plus précieux : la mémoire.
Ce livre m’a fait sourire, rire, grimacer. Il m’a ému mais toujours avec une incroyable douceur. Cette histoire nous est rapportée grâce à la plume de Valentin qui rédige chaque jour son rapport de service civique ; on y retrouve deux temporalités : celle où il écrit à chaque jour de son stage (le présent), et des notes rétrospectives qu’il rédige en relisant son rapport (ce qui correspond au futur, au moment de notre lecture). Ces deux temporalités nous permettent d’en apprendre un peu plus sur ce qui se passe et sur certains silences de Valentin. Ce son récit, mais également celui de Sola, son encadrante de stage. On suit l’évolution de ces deux protagonistes qui sans le savoir à leur rencontre, vivent une histoire miroir ; ils vont se liés dans une relation particulière qui va les faire grandir et leur permettre d’avancer dans leurs vies.
Cette histoire se déroule dans un lieu inventée par l’autrice : une unité Mnémosyne. Un lieu de vie pour les personnes atteintes de troubles de la mémoire qui recrée l’environnement de leurs jeunesses. Valentin travaille dans l’unité B, qui correspond aux années 60 et 70. Cet endroit est comme un studio de tournage : il y a une rue, un cinéma, des habitations, un parc et même un arrêt de bus. C’est comme une petite ville, sauf que les résidents ne sont jamais vraiment “à l’extérieur”. Tout y est vrai (la nourriture, les gens, les vêtements…) et en même tant artificiel, jusqu’à la pluie, qui tombe une fois par mois pendant 1h. Cet endroit que Valentin trouve très étrange au premier abord, va devenir pour ce jeune homme angoissé un lieu de couleurs, effaçant toute la noirceur, l’inconnue et les peurs de l’extérieur.
Sans vous raconter l’histoire, les années 60-70 vont être au cœur du roman, ainsi que les questions liées à la mémoire, et aux notions d’amour et de famille. Ce roman est très beau, et il est très difficile de laisser nos héros et l’unité Mnémosyne. Le texte est très juste, il parvient à nous montrer la magie de ce lieu, sans oublier de nous faire comprendre que ses résidents sont aussi des malades, et qu’il est parfois difficile à cotoyer pour le personnel et les familles.
Je me suis beaucoup attachée à Valentin, j’ai aimé lire son évolution, à laquelle on assiste au fil de ses actions et dans la rédaction de son rapport. Sa relation avec Sola est très attachante et leur complicité est touchante. Cette lecture a été un vrai coup de cœur ; et je vous la conseille pour découvrir une histoire très originale.
Âge tendre est un petit bijou.
Je vous conseille également d’écouter la playlist créée par Clémentine Beauvais pendant votre lecture. En tout cas j’ai adoré le faire, elle offre encore plus de profondeur et d’authenticité au récit.
Citations
- Je réfléchis à toutes ces choses belles qui ont fui le monde. _Valentin
- Je n’avais jamais pensé à ça avant, qu’on puisse avoir un amoureux sans histoire d’amour. J’ai pensé à la douleur que ça a dû être pour Sola de voir disparaitre cet amour-là qu’elle vivait toute seule. _Valentin
- Les gens mentent et c’est la pire chose du monde, ils mentent, ils font des choses dans le dos des autres, ils trompent les autres gens tout le temps. _Valentin
- Il y a quelque chose qui manque, dans cette maisonnette et dans le monde du dehors en général. C’est : un sens de la beauté ou de quelque chose de doux, qui est là pour soutenir et protéger au lieu de brusquer et faire souffrir. _Valentin
- Je sais bien qu’à ton âge on peut avoir une certaine cruauté, la cruauté normale de ceux qui ont moins vécu, mais imagine, juste imagine juste une chose : cette absence. Imagine un immense amour disparu et toi seul te souviendrais de son existence. Personne d’autre, juste toi, juste toi seul, imagine ! _Sola
- Le pire dans la vie, ce n’est pas la disparation de quelqu’un, une relation qui se délite, un lieu qu’on quitte. (…) Le pire c’est quand il n’y a personne d’autre pour se rappeler tout ça, personne à part toi. _Valentin
- Tu sais, tu as une grande capacité à animer le monde autour de toi, de tes pensées et de tes peurs. Je crois que c’est pour ça que tu y lis si souvent des signes. _Sola
- Tu es quelqu’un de précieux pour le monde. _Sola
- Chaque minute de rien-faire est une minute de penser-à-lui avec des attitudes de penser-à-lui dignes du plus grand cinéma mélodramatique. _Sola
- C’est à chaque fois une petite devinette, une petite poésie et une petite tristesse. _Valentin
- Le monde du dehors est plein de ces choses sales, qui nous opposent de la lourdeur et des obstacles. _Valentin
Âge tendre de Clémentine Beauvais chez Sarbacane (19/08/2020) – 17€ – 378 pages – France