Prendre le temps de vivre…
Qui aurait pu croire qu’on ne travaillerait plus que trois heures par jour ? C’est pourtant bien ce qui arrive aux Français depuis la victoire à la présidentielle de l’économiste Émilien Long, qui a osé légaliser le droit à la paresse. Mais dans une société libérée du joug du travail contraint, il reste bien des obstacles : lobbys agressifs, nantis révoltés, nostalgiques du monde ancien et opposants politiques démagogiques font feu de tout bois pour mettre à bas ce nouveau système. Le président de la république, tout iconoclaste qu’il soit, peut-il vraiment inverser les priorités de notre société ? Y compris en remettant en cause sa propre place dans une république qui n’a toujours pas tourné la page du Roi-soleil ?
Il y a deux ans, je vous parlais de Paresse pour tous, le livre d’Hadrien Klent qui narrait la candidature à la présidence d’Émilien Long. À l’aube d’une élection présidentielle 2022 qui a brillé comme prévu par sa médiocrité, cette fiction m’avait bouleversé ; aujourd’hui encore, elle résonne régulièrement à mon esprit et continue de forger mes idéaux.
Retour en 2023, alors que je déambule dans les allées du Salon du livre jeunesse de Montreuil, je découvre avec bonheur que sa suite est sortie : La vie est à nous. Impossible de repartir sans.
Dès les premières pages, on retrouve nos marques dans cet univers. Hadrien Klent n’a pas joué la carte de la facilité en racontant les premiers jours suivant l’élection d’Émilien Long, il prend le parti de commencer son récit en 2025, une semaine avant un double événement crucial : un vote à l’ONU qui engagera les pays à baisser leur temps de travail, et un référendum crucial qui déterminera la suite de la carrière présidentiel de notre héros, ce moment servira de point d’orgue au récit. Bien qu’inattendu, ce choix de scénario m’a beaucoup plu, il nous emmène directement au cœur d’une autre histoire, il ne s’agit plus de comment appliquer les promesses d’Émilien, il s’agit de les appliquer. Et là encore, Hadrien Klent propose un monde qui laisse rêveur : un monde où les politiques tiennent leurs promesses, affirment leurs convictions et ont une morale. Toute l’équipe autour du personnage principal est de retour dans ce second tome, son ancienne équipe de campagne compose dorénavant son gouvernement. Le premier tiers du roman raconte d’ailleurs comment chacun·e a agit dans les missions qu’Émilien leur a confié ; c’est d’ailleurs l’un des très rares point que j’ai moins apprécié : un léger effet catalogue “qui a fait quoi pendant 3 ans”.
Encore une fois, le fond politique du roman paraît étudié, sourcé, plausible. Au lieu de raconter une société transformée facilement par le projet des personnages, Hadrien Klent imagine les compromis, les oppositions, les questionnements moraux, ou les difficultés rencontrées. Finalement cette duologie est pratiquement un programme de campagne offert dans nos librairies.
La magie d’Hadrien Klent a encore fonctionné, sa plume pleine de facétie m’a emporté avec enthousiasme dans son univers. Certains mots ont été des ras-de-marée (“Quand est-ce qu’on nous a demandé notre avis ?“, “Nous sommes la voix de ceux qui ne veulent plus subir un monde qu’ils n’ont pas choisi, pas construit, pas rêvé, pas imaginé.“), et comme la première fois, le retour à la réalité peut s’avérer douloureux. À mettre entre les mains de toustes les rêvereuses.
Avant de vous laissez, je vous inonde citations 😉
Citations
- la paresse c’est se construire sa propre vie, son propre rythme, son rapport au temps – ne plus le subir. _Émilien Long
- Seront colibres ceux qui ne sont plus assujettis à l’écrasement du travail, et qui en échange de cet avantage, sauront rejeter l’égoïsme, l’individualisme.
- On est colibre lorsqu’on se libère du joug du travail sans pour autant se replier sur soi. _Émilien Long
- Tout semble urgent à qui croit que la vie est une course de Formule 1. _Émilien Long
- Le travail ne peut pas être tout dans la vie. Peut-être plus facile à comprendre pour cette génération née autour de l’an 2000 qui voyait bien que les précédentes, y compris celles des années 1980 et 1990, avaient trop cru à la promesse d’une « réalisation par le travail ».
- On réalise surtout des tâches qui servent à faire tourner une machine productive dont le seul but est d’avancer de peur de s’effondrer sur elle-même : pourquoi est-ce que ce serait à nous de la faire tenir ?
- Avant la coliberté, il y avait eu le covid, avant encore, les subprimes : combien de fois le message avait-il été martelé que la vraie vie était ailleurs ?
- Ce que vous appelez un investissement à perte, c’est ce qu’on appelle aujourd’hui un investissement d’avenir. Nous investissons pour sauver la situation. _Émilien Long
- Nous sommes parfois notre propre ennemi, par nos complicités avec un système que nous réprouvons mais que nous subissons. _Émilien Long
- Si le soir tu te couches las, crevé, si tu soupires en pensant « je suis au bout du rouleau », ou alors « j’ai trop bossé », ou encore « je suis à plat », alors, oui, c’est que tu as trop travaillé. Ton organisme t’envoie des messages […]. Tu devrais l’écouter, mais non, tu préfères t’endormir, sans écouter. Et le lendemain sera pareil. Et le surlendemain. _Souleymane Coly
- George Orwell : « Toute idée de progrès personnel dans la vie, l’idée même de “réussir” suffisamment pour arriver à gagner quelques centaines de livres par an, me semblait spirituellement hideuse, me semblait participer de la violence oppressive générale. » _Souleymane Coly
- Ce ne sont que des mots, oui. Mais avec des mots, on peut changer le monde.
- Quand est-ce qu’on nous a demandé notre avis ?
- Nous sommes la voix de ceux qui ne veulent plus subir un monde qu’ils n’ont pas choisi, pas construit, pas rêvé, pas imaginé. _Émilien Long et Souleymane Coly
- Quand on a construit son univers mental entièrement sur la valeur travail, sur le productivisme, sur la réussite industrielle, difficile de croire en la coliberté.
Informations
La vie est à nous d’Hadrien Klent aux éditions Le Tripode – 04/05/2023 – 352 pages – 19.00€ – France